Il est des sorties de pêche qui vous marquent à jamais. Des sorties qui imprègnent de façon indélébile votre mémoire.
Ce matin d'août 1998, nous étions partis, mon meilleur ami Eric et un pote à lui Denis, sur un de mes terrains halieutique de prédilection: les gorges de la Truyère.
Nous avions décidé quelques jours auparavant, d'aller y camper un week-end afin de traquer cette truite fario à la robe si particulière peuplant les eaux de cette magnifique rivière.
Eric était déjà un pêcheur depuis plusieurs années.
Son ami Denis, lui, avait pris cette année le permis de pêche (ce fut d'ailleurs la seule saison qu'il fit et ne repêcha plus depuis...), plus pour faire plaisir à Eric que pour se faire plaisir à lui.
Je me serais bien passé de sa compagnie d'ailleurs, tant je voulais partager ce week-end d'émotions annoncées, seul avec mon meilleur ami.
Mais bon, il a bien fallu se résoudre à avoir dans les pattes cet emmerdeur de Denis, avec lequel, il faut l'avouer, je n'avais que peu d'affinités.
Nous prîmes donc la route, ce vendredi soir du mois d'août, pour les gorges de la Truyère, à la limite du Cantal et de la Lozère, sur un secteur que me fit découvrir mon grand père durant mon adolescence.
Nous avions décidé de planter notre tente près d'un petit moulin appartenant à cette époque aux descendants d'un banquier de la région parisienne qui était tombé amoureux de cet endroit, et qui avait racheté les ruines pour une bouchée de pain, afin d'en faire une belle résidence secondaire le bord de la Truyère.
Ce vendredi soir, manque de chance, les petits enfants de ce Monsieur étaient présents au moulin pour leurs vacances.
Par bonheur, en nous voyant arriver avec nos sacs à dos, ils accèptèrent que nous plantions notre tente sur leur terrain.
Le premier coup du soir effectué, nous décidions de nous lever tôt le samedi matin.
J'étais alors le premier réveillé, aux premières lueurs de l'aube.
Il ne faisait pas très chaud pour un samedi du mois d'août, et l'eau de la rivière était saupoudrée d'une petite nappe de brouillard.
Le niveau de l'eau était par contre tout à fait conforme à ce qu'il est en général à cette époque de l'année: bien trop bas pour espérer une pêche miraculeuse.
Je me revois, pendant qu'Eric et Denis étaient en train de préparer le petit déjeuner en allumant le feu sous le réchaud de camping, montant mon lancer léger et y accrochant mon leur fétiche, le rapala cd 3cm coloris MN.
"je vais faire un ou deux lancers avant de prendre un café" dis je à mes amis.
Notre tente était plantée le bord d'un gouffre très profond, bercé par des eaux plutôt calmes, en amont duquel un courant un peu plus puissant venait se briser.

Je m'approchais de l'eau et fis mon premier lancer, quelques mètres en amont de ma position. A peine le premier tour de manivelle effectué qu'une puissante attaque me fit lacher la manivelle du moulinet.
Le temps de reprendre le contact, de combattre quelques infimes dixièmes de secondes, je m'aperçus que je venais de toucher et de manquer une truite d'une taille rare.
Je vous passe la bordée d'injures et de beuglantes que j'ai proférée.
Malgré mes autres essais sur ce même coup, le poisson, piqué sans doute, ne revint pas à la charge.
Je rentra alors complètement dépité auprès de mes camarades qui me lancèrent:
"et alors, pourquoi tu as beuglé comme ca, t'en as loupé une?"
Un peu oui, que j'en ai loupé une, et pas une petite en plus! Et moi de leur mimer avec mes mains la taille estimée du monstre de la Truyère.
J'ai bien sur eu du mal à leur faire gober ca.
"Putain j'y retourne, je déjeune pas, on sait jamais"
"bah si tu l'as piquée, tu la retoucheras pas " me lance Eric.
Je retourne au même endroit, sur cette tête de courant, et en effet, au bout de quelques lancers, je me résigne à l'idée de ne plus revoir ce poisson.
J'ai alors la présence d'esprit de monter de quelques mètres, et de relancer mon leurre en amont.
Et là miracle, la Truite, piquée lors de la première attaque, s'était repostée au dessus, sur un autre secteur.
Au premier passage, je la vois se retourner sous l'eau limpide de ce mois d'août sur mon leurre avant de sentir la "décharge" de son attaque dans mon bras.
La bataille fut courte, et je réussis à échouer sur la berge cette magnifique fario de 53cm!
Un cri primaire résonna sur toute la vallée, jusqu'à réveiller d'ailleurs le propriétaire du moulin que je revois sortir précipitamment en pyjama, pensant qu'on venait sans doute de se faire agresser dans nos tentes par je ne sais quelle bestiolle!
Bien sur, je vous passe la tête de mes amis quand je leur mis cette belle mémère devant les yeux!
Forcément, la tartine qu'ils étaient en train d'engloutir, soudain, prit un gout tout à fait différent.
Une fois l'émotion passée et le petit déjeuner avalé, la matinée de pêche put reprendre.
Eric et Denis décidèrent de pêcher le parcours situé en aval de notre campement, et moi, seul, le parcours amont.
Ma partie ne fut guère réjouissante, en dehors de la mémère sortie tôt le matin.
Et c'est exténué que je rejoins mes amis pour le casse croute, en fin de matinée.
Eric et Denis étaient déjà au campement.
A peine eu je le temps de poser la question fatidique:
"Alors, ca a donné quoi?"
Que Denis me répondit: "Elle mesurait combien ta truite de ce matin déjà?" (truite qui reposait sous la tente, enveloppée dans de l'herbe fraîche..)
Etonné par la question, je répondis: "ben 53cm, tu te rappelles déjà plus?"
Et Denis de se retourner vers Eric en lui lançant: "tu vois, elle est pas si grosse que ca finalement".
Estomaqué par sa remarque, ma réponse était au bord de mes lèvres, prête à fuser: "ben mon salop, le jour où tu en prendras une comme ca, tu pourras ouvrir ta gueule", mais bien sur, me doutant qu'il y avait "anguille sous roche", je me tus.
Et quelle ne fut pas ma surprise quand je vis Denis sortir de son panier un magnifique bécard de 58cm
Eric, dépité, me raconta comment ca c'était passé: un petit courant passant de chaque côté d'un caillou. Eric lancant à gauche, et Denis, à côté de lui, lancant n'importe comment à droite.
Sa cuiller loupa le coup et attérit sur le courant d'à côté (rappelons que Denis n'avait auparavant jamais pêché et que c'était sa première saison, avec toute l'approximation que cela entraine dans la technique de pêche...) duquel jaillit le magnifique Bécard qu'Eric réussit à épuiser après quelques longues minutes de bataille indécise.
Ainsi se termina cette longue et extraordinaire matinée qui fit que je sortis ce qui reste à ce jour ma plus belle truite, et qui fit que Denis, qui ne repêcha plus depuis, réussit un coup de ligne exceptionnel avec ce Bécard frôlant les 60cm.
Ce qui restera pour moi un de mes plus beaux souvenirs de pêche restera sans doute un des pires de mon ami Eric qui lui, se retrouva seul "couillon" du week-end à ne pas sortir un poisson record...